CES CHRETIENS DE GAUCHE QUI DERANGENT TANT.

Par Jean-Philippe Tizon.

Lors de son arrestation, quand Barbie annonce à Raymonde Belot qu’il allait faire fusiller son mari, Raymond- ce dernier refusait de parler- elle lui répond: « Pourquoi, nous ne sommes ni juifs, ni terroristes, ni communistes ? » Ce à quoi il lui  réplique : » Vous êtes pire, car avec vos écrits, vous armez les terroristes »[]. Raymonde Belot, militante et résistante au sein des réseaux Témoignage Chrétien, témoigne ainsi devant la Cour de Lyon en charge du procès du tortionnaire nazi. Klaus Barbie, l’assassin entre autre de Jean Moulin, ne regarde pas son ancienne victime. Nous sommes en 1987, plus de quarante ans après les faits.

Sûrement que pour les responsables nazis, trouver des chrétiens engagés dans la résistance auprès des réseaux gaullistes, socialistes et communistes dépassait l’entendement (1).

Le nazisme et le « communisme » stalinien se voulaient deux idéologies athées.

 La première entendait promouvoir la supériorité aryenne en niant la qualité humaine au reste des homos sapiens  et la seconde entendait, en s’appuyant sur l’héritage des Lumières, de la Révolution Française et d’un marxisme repatiné par  le « petit père des peuples », libérer le genre humain contre toute forme d’oppression. Nous savons tous ce qu’il en est advenu. Idéologie contre idéologie ou Enfer contre  Enfer pavé de bonnes intentions, les nazis et leurs collaborateurs pouvaient  encore comprendre ces paramètres binaires dans leurs esprits malades. Mais que des chrétiens au nom de leur Foi, au nom des enseignements du Christ, Dieu fait homme, puissent dire non à l’infamie, puissent tendre la main aux juifs persécutés, puissent défier sur le fond par leurs journaux clandestins interposés  le dogme du national-socialiste, puissent en appeler à une résistance spirituelle  voire à une résistance armée contre un régime de la haine institutionnalisée, cela devenait non seulement incompréhensible mais ouvertement intolérable  aux yeux des fascistes.

Le combat a glissé d’une dimension idéologique pure à une dimension morale, à savoir : le Bien (l’acte de Résistance donc de « terrorisme »)  contre le Mal (l’idéologie  nazie et pétainiste représentant l’ordre institutionnel).

 

Une libération  opposée

à la sclérose des esprits.

 

Ces militants chrétiens, à l’instar des militants communistes, socialistes et gaullistes,  ont largement participé à l’élaboration du programme du Conseil National de la Résistance, dont l’esprit humaniste et social est aujourd’hui remis politiquement en cause.

Les milieux conservateurs de l’Eglise Catholique reprocheront toujours à ces croyants non seulement d’avoir créé un précédent en dénonçant un ordre politique institutionnel comme source d’un désordre humain, mais aussi d’avoir appliqué cette vision à la hiérarchie de l’Eglise.

De la Libération à nos jours, avec plus ou moins de ténacité, les chrétiens dit de gauche ont joué et continuent à jouer un rôle important.

Au nom de leur double fidélité au Christ et à la République laïque, ils ont lutté au sein de l’Eglise pour arriver  au concile Vatican II et les générations contemporaines entendent maintenir et développer l’esprit du Concile.

 Que nous le voulions ou pas, l’Eglise reste et restera traversée par l’ensemble des contradictions de la vie. A ce titre, elle ne peut et ne doit rester figée.

 Par la suite, au nom de leur Foi en Dieu et en l’Homme,  ces chrétiens se mobilisent contre les guerres coloniales, contre les exclusions, pour le progrès social etc. Ils continuent à agir en tant que tel aujourd’hui. Ils partagent sur le terrain leurs sentiments avec des militants de gauche pour la plupart athées. Ils comprennent qu’une résistance spirituelle aussi juste soit-elle ne peut se traduire dans le concret  que par un engagement politique et/ou syndical.

Ainsi, ils modifieront, durant  les années 1960 et 1970, par leur présence désintéressée bien des aspects du paysage syndical et politique en transformant la CFTC en CFDT ou en contribuant à la fondation du Parti socialiste lors du congrès d’Epinay, tandis qu’une minorité décide de s’engager au sein de PCF et contribue à son évolution.

Ils ne sont pas, bien entendu, sans erreur politique  ou humaine.  Qu’elles ou qu’ils soient membres du PS, du PCF ou d’autres formation de gauche, un fil conducteur anime ces chrétiens : l’émancipation humaine dans le respect de chacun. Avec les mouvements d’Actions Catholiques, les réseaux Témoignage Chrétien, le CCFD, la Cimade (etc.), ils demeurent ce poil à gratter de l’Eglise et de leurs propres formations politiques.

Combien de sclérosés de la pensée tentent des diversions diverses pour discréditer ces militants (es) ?

Il reste assez amusant mais aussi pitoyable d’entendre dire encore de nos jours que telle ou telle paroisse est sous contrôle socialiste ou communiste (alors que personne ne s’émeut de la présence de militants UMP au moment où la politique de ce parti se positionne aux antipodes de la doctrine sociale) tout comme les niaiseries inverses, telle ou telle section socialiste ou communiste est sous  le contrôle des catholiques. Bref, s’il existait  une Sainte Connerie, certains(es) chrétiens(nes) et militants(es) dit de gauche pourraient se retrouver pour communier ensemble tant la différence de l’autre dérange et fait peur. Cette attitude se nomme Inquisition ou Stalinisme

 

Une morale

 Emancipatrice

 

Le politologue René Rémond, prédisait la fin des chrétiens de gauche, nous pensons qu’il s’est trompé.

Nous assistons de fait à la fin d’une gauche ayant perdu son sens moral donc son sens de la vie. Les chrétiens engagés à gauche distinguent  très sereinement leur engagement spirituel de leur engagement politique donc plus temporel. Néanmoins, un trait d’union puissant uni les deux approches, il se nomme : morale.

 Il est question, en ces lignes, de Morale et non d’un moralisme dogmatique aveugle. Albert Camus, athée devant l’Eternel, expliquait que la politique sans morale conduisait tout droit à la barbarie.  Aujourd’hui, le bling bling politique de l’UMP et celui de certains(es) hommes ou femmes « gauche » conduit tout droit à la barbarie.

 D’un côté des millions (2) de femmes et d’hommes exclus par le chômage, la précarité de l’emploi, la santé, le mal logement (etc.) et de l’autre la course indécente aux privilèges petits et grands.

  Les chrétiens dit de gauche ne se veulent ni une caution spirituelle aux formations de gauche, ni une caution sociale à une institution catholique plus ancrée à droite. Ils se veulent seulement frères ou sœurs en humanité et rappellent, sans soucis de prosélytisme, au plan spirituel, que la démarche d’Amour de Dieu demeure une démarche d’émancipation humaine à la fois individuelle et collective (3).

 Ils rappellent, par leurs aptitudes  à souligner l’importance de l’adéquation entre les paroles et les actes, que la morale en politique revient à respecter les citoyens (nes) et à donner du sens à la chose publique. En ce temps où les mots sont détournés de leur signification, et notamment le mot gauche,  ils deviennent avec d’autres les garants d’un véritable ancrage.

 Nous le reconnaissons volontiers, bien des femmes et des hommes se définissant comme non croyants possèdent aussi ce sens moral aigu, ce sens de l’intérêt général élevé  qui devrait éveiller bien des consciences chrétiennes endormies et recroquevillées sur le rituel.

Concluons, par cette pensée de Louis Escudier, prêtre ouvrier et ancien vicaire général de l’Evêché de Montauban : « Je crois que l’aide à la pauvreté n’est pardonnable que si elle s’accompagne d’une lutte accrue contre les causes de la pauvreté, et contre les structures d’injustices qui l’engendrent. Il me semble comme chrétien que je dois tenir les deux bouts ».

Alors, tenons les deux bouts pour tendre vers l’espérance.

 

 

 

(1)               Politiquement et humainement, le Vatican sous Pie XII n’a jamais dénoncé le régime hitlérien. Nonce apostolique à Berlin, il a même signé un concordat avec le pouvoir allemand. Après une première réaction des institutions chrétiennes (catholiques et protestantes) germaniques contre la volonté d’exterminer les malades mentaux, ces dernières se sont, à rares exceptions, tues. Tues à propos de la déportation  politique, tues par rapport à la shoah, tues par rapport aux atrocités commises. Et si elles avaient réagi ? Seul, Pie XI  considérait Hitler comme l’Antéchrist et ce malgré une réelle aversion pour le régime stalinien. Pourtant, sur le terrain, des chrétiens se sont organisés y compris en Allemagne, comme ceux du groupe de la Rose Blanche, pour lutter contre la bête immonde. En Allemagne comme en France, des chrétiens –catholiques ou protestants- se sont toujours levés au nom de leur Foi contre les injustices, pour une meilleure répartition des richesses. François d’Assise condamne lui-même l’hypocrisie qui consiste à faire acte de piété le dimanche et à exploiter ses frères la semaine. De Thomas Münzer à l’abbé Grégoire, du père Antoine Chevrier au père Chaillet, de Mgr Salièges  à Mgr Duval, tous au nom de leur Foi, ont tenu à défendre avec les intéressés la dignité et l’émancipation humaine. Il en va de même  aujourd’hui avec Mgr Legall. Leur livre de chevet, la Bible, et ses enseignements tant théologiques que philosophiques.  Il en va de même pour nombre de laïcs (ques) chrétiens (nes)

 

(2)             Pour réflexion, il demeure important pour les croyants comme pour les profanes de lire ou de relire sur le fond l’Exode, le prophète Amos, l’épitre de Jacques, et les Béatitudes de Matthieu. Ces textes demeurent quelque part, avec d’autres, les bases d’une réflexion et d’une action émancipatrice de l’Homme.

 

(3)               Lire « la République des Guaranis. Les jésuites au pouvoir  » de C. Lugon –Editions Foi Vivante-où comment le seul état communiste au sens éthique a vécu plus de 150 ans en Amérique Latine entre le 17 et le 18e siècle. «  La République des Guaranis était sans doute trop communiste pour les chrétiens bourgeois et trop chrétienne pour les communistes de la période bourgeoise »  soulignent les premières lignes de l’introduction

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A
<br /> Bravo et Merci pour ces rappels, je n'avais pas lu l'épitre de Jacques, cela a été une occasion de le découvrir.<br /> Je l'ajoute aux arguments de ceux parmi les catholiques qui me demandent comment issu d'une famille de républicains espagnols (et assez fier de l'être) je peut croire en Dieu et aller prier à<br /> l'église.<br /> Petite question quel rapport avec VILLEMUR?<br /> <br /> <br />
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R
<br /> Document trés interessant...<br /> Avant la conclusion, nous disons que notre chance en A C O (action catholique ouvriére)c'est de nous faire chercheurs de Dieu qui nous précéde parmi les hommes...<br /> <br /> <br />
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