Conte de fin d'année

Le Froid, le notable et l'enfant

 

 

Par Joannes Iph

 

Il était une fois, un viel homme tracassier et froid, il entend depuis toujours prendre sa revanche sur son voisin monsieur Eté. Il faut dire que chaque année, monsieur Eté essaie de pousser son avantage sur madame Automne. Cette dernière y trouve, non sans déraison, un certain plaisir. Le dit plaisir s'accroit quand ce vieux grincheux de général HIVER s'aperçoit de la cour assidue de son voisin. Il en va ainsi depuis presque toujours. La rivalité amoureuse accompagne celle de la géographie, tout comme l'histoire des hommes et des dieux de la nature. On raconte même qu'un des aïeux du vieux général tracassier a remporté, en Russie, la victoire sur les troupes napoléoniennes et que lui-même a joué un rôle prépondérant dans ce même pays contre les troupes nazies de Von Paulus. Nous nous égarons un peu, mais revenons à nos contrées villemuroises.

 

PARTIE I

 

Depuis quelques années, ce monsieur Hiver, dépité, s'invite à Villemurois sur Rante. Il prend ses quartier dans une école où hante l'esprit Michelet. Jules ou Edmond ? S'interrogent alors avec un air savant quelques transmetteurs de savoir. Il jette son dévolu le petit matin et le soir sur les enfants et personnels présents de la garderie. Il harcèle à la façon cosaque les troupes scolaires. Michelet en frémit de colère :

- « Comment, tempête-t-il, peut-on laisser jeter un froid sur les principes de la république où chacun doit être au chaud pour apprendre et jouer ? La rage de l'Esprit Michelet arrive aux oreilles d'une petite fille.

- C'est vrai, dit-elle, à brûle pourpoint, pourquoi devons-nous avoir froid le matin et le soir ? On pourrait le dire autour de nous ? L'employée et l'instituteur de garde, surpris, la regardent et lui disent, un brin fatalistes, :

- Tu sais, nous sommes intervenus l'an dernier, y compris avec les parents d'élèves. On nous a dit qu'il n'y avait pas grand chose à faire ».

 

Déterminée, cette petite fille en parle à ses parents. Quelques jours plus tard, elle croise sur le marché de Noël au milieu des baraques illuminées de mille feux, Mr Abeille.

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        • - « Hep, monsieur, vous êtes bien le monsieur qui s'occupe des écoles à la mairie ?

        • - Oui, répond l'élu interloqué,

        • - Vous savez que nous avons froid le matin et le soir à la garderie.

        • - Oui, mais ce n'est que passager. Le climat va s'adoucir répond mi-figue, mi-raisin Mr Abeille,

        • - Peut être, répond la petite fille, mais en attendant, on s'enrhume ».

Voyant, les badauds regarder l'enfant audacieuse, l'élu réalise la situation et essaie de la retourner à son avantage;

  • - « tu sais, je t'ai entendu. C'est bien que tu puisses m'interpeller. Tu es courageuse ». dit-il avant de se retourner et de partir vers une autre direction.

 

Mr Abeille, n'est pas en soi un mauvais homme. Il est du genre besogneux avec toujours cette tête de quelqu'un qui a peur de se faire gronder par son supérieur ou son maître. Quelques décennies d'enseignement au sein de l'école primaire marquent son bonhomme. Le voilà à nouveau comme élu confronté à de nouvelles tracasseries. Celles de ces gens qui l'informent, qui demandent des choses voire, à l'occasion, qui revendiquent. Il faut dire qu'il possède une arme infaillible, celle de l'usure. Comme directeur d'école, il en a usé des générations de parents et d'élèves. Il écoute poliment, indique qu'il va se renseigner et comme toujours la réponse est : « ce n'est pas possible ». Ne pas déplaire à sa hiérarchie sans se mettre à dos les parents ou les collègues tient du grand art. A sa façon, il demeure un artiste dans le compromis de ne rien compromettre. Art qu'il essaie de transmettre aux nouvelles directrices, avec plus ou moins de succès. Une technique sûre pour pouvoir continuer son bonhomme de chemin quels que soient les aléas de l'Histoire en cours,

 

La petite fille, avec sa candeur, se demande bien pourquoi le monsieur de la Mairie ne lui a pas répondu simplement au problème de froid.

  • - « Dit Papa, pourquoi le monsieur ne m'a dit qu'il allait mettre du chauffage à la garderie?

  • - Je ne sais pas ? répond le papa.

  • - Parce queeee ! ce n'était pas le bon moment !!! explique-t-il.

  • - Mais dit, c'est quand le bon moment Papa ? »

 

PARTIE II

 

Durant ce temps le Mr Hiver continue ses incartades matinales et nocturnes. « Un peu d'air vif ça vivifie », jouit le vieux grincheux de général. «  Il y en marre de ces poules mouillées », vente-t-il de son souffle froid. Pour mieux rajouter « diable, il faut en faire des hommes »....

 

  • - « C'est vrai, ils nous prennent pour des pingouins, s'exclament en cœur les employés municipaux et les enseignants,

  • - D'ailleurs, tu sais. La petite, l'autre jour, qui râlait parce qu'elle avait froid, elle est tombée malade.

  • - Laquelle ?

  • - La petite Marianne.

  • - Ce soir, j'en parlerai à une maman. Elle sait se faire entendre.

  • - Et la directrice ?

  • - Elle dit, mais elle colle au peloton académique du pas de vagues ».

 

- « Quoi, ils maltraitent la petite Marianne, tonne l'esprit Michelet.

- Mais quel type de grognard de la République ose un tel sacrilège? Etre républicain, c'est posséder le courage de transmettre un idéal et créer les conditions matérielles pour atteindre l'objectif» fustige-t-il. 

 

 

Le soir venue, une enseignante, excédée, interpelle une maman connue pour son esprit vif et son franc-parler.

  • - « Vu que vous assistiez aux séances du conseil municipal. Ne pourriez-vous pas intercéder en notre faveur ? Le froid occupe notre espace le matin et le soir.

  • - J'interviendrai, mais je ne garantie pas l'impact », répond avec un air sarcastique cette maman qui connait bien la vieille stratégie de l'usure utilisée par Mr Abeille.

 

Le vieux tracassier et froid, en a vu d'autre. Il a notamment entendu les propos.« Ce n'est pas une donzelle, qui va amener le beau temps. Tant que j'occupe le terrain, harcèle et affaiblis le moral des troupes, les sbires d'Eté ne pourront rien réaliser. D'ailleurs, cet Abeille est mon allié. Avec le souci de son petit égo, il arrive, mine de rien, à réduire toute intervention pertinente en portion congrue. Je suis là, jusqu'en Avril et je reviendrai l'an prochain »

 

 

Les vacances de Noël s'installent. Marianne et ses petites camarades s'amusent comme des folles sur la patinoire artificielle. Elles glissent, reglissent emmitouflées dans leurs manteaux et écharpes. Les flocons de neige virevoltent. Les enfants jonglent entre l'insouciance, la neige et les crêpes chaudes au sucre. Le général, lui, étend son occupation à tout Michelet et prépare ses attaques cosaques pour la rentrée.

 

Pourtant, ses prévisions ne vont pas se passer tout à fait comme il l'entendait.

Le soir du premier jour des vacances, le conseil municipal se réunit. Les affaires courantes sont votées à L'UNANIMITE.

  • - « Pas d'autres questions interpelle monsieur le Maire.

  • - Si, répond une voix féminine décidée.

  • - Allez y , Madame, rétorque le Premier magistrat.

  • - Je m'adresse à monsieur Abeille. Des enfants, des parents des personnels de l'école Michelet se plaignent de la présence du froid le matin et le soir dans la salle de garderie. Il serait judicieux d'étendre la programmation de la chaufferie plus tôt le matin et plus tard le soir.

  • - La question revient plusieurs fois, explique Mr Abeille, Je le répète, c'est une grande salle avec des grandes baies vitrées. Elle reste difficilement chauffable. Chauffer un peu plus coûterait plus cher. -souligne-t-il tel monsieur de Lapalice- D'ailleurs, ce n'est l'histoire que de quelques jours.

  • - Il est vrai répond, la maman ulcérée, qu'il vaut mieux payer le surcoût des médecins alors qu'il suffit de répondre à l'attente légitime des enfants d'être chauffés correctement. il faut trouver une solution immédiate et réfléchir, pour la suite, à l'aménagement de cette salle.

  • - Nous allons voir cela à la rentrée, conclut le Maire."

 

A la sortie du conseil, Monsieur Abeille se rapproche de Madame Luxembourg :

- « alors sans rancune lui siffle-t-il un demi-sourire aux lèvres.

- Pourquoi, parlez-vous de rancune alors que je parle de l'intérêt des enfants ? » lui cloue-t-elle le bec.

 

 

Jules Michelet présent dans la salle se satisfait peu de la situation. « Quel type de républicain faut-il être pour ne pas vouloir chauffer correctement les enfants du peuple ? »

 

 

Partie III

 

Nous entrons ici dans une quatrième dimension. Vous n'y croyez pas et pourtant, elle vous attend là ou vous ne l'attendez pas. Elle fait pâlir tous les adeptes d'un cartésianisme apaisant ; les « je crois en ce ce que je vois ». Cette position soi disant sage se situe loin très loin de l'approche scientifique, encore plus de la dimension spirituelle de l'être humain et de la complexité des approches.

 

Jules rentre dans son école. Le général Hiver, jubile. «  A ce rythme là je vais gagner la partie ».

 

Jules maugrée «  si je ne m'étais pas disputé avec Edmond. Il pourrait me donner un coup de main ».

 

Il faut dire entre les deux républicains au-delà du siècle d'écart d'existence, il existe toujours cette légère tension sur le rapport au Vatican. L'un a combattu ouvertement ce catholicisme au service des puissants. « L'opium du peuple » comme diront au cours du 20e siècle les intégristes républicains et les néo marxistes. L'autre issu de ce papisme étroit, deviendra grâce au regard du catholicisme social un républicain, un résistant, et un ministre de la culture hors pair. Mais le partage de la connaissance et de la culture par le plus grand nombre possible demeure le facteur commun à ces deux esprits hors pairs.

 

 

  • je te l'ai déjà expliqué de long en large. Tu ne veux pas en démordre. Tu confonds volontairement des pratiques institutionnelles étroites avec l'esprit du texte biblique. râle Edmond

  • Enfin, te voilà. Je te l'accorde. D'ailleurs, je suis confronté avec les enfants à cette gageure humaine : Préférer le texte à l'esprit du texte, préférer son petit pouvoir à celui de mettre les enfants au centre. Je t'en passe. D'ailleurs, à toute fin utile, je te le rappelle les sorcières jouait ce rôle de contrepouvoir nécessaire, rajoute Jules.

 

Les deux compères repartent dans des querelles digne du Collège de France pour en arriver enfin à la situation glaciale de Villemurois sur Rante.

 

  • - "Cette situation est digne de Kafka, s'emporte Edmond

  • - Kaf quoi ? Interroge Jules

  • - Cet auteur Tchèque qui avec brio sut montrer l'absurdité de la bureaucratie avec ses labyrinthes sans fin, symbole s'il en est de la déshumanisation et de la dérive totalitaire des institutions et de leurs sujets. Précise agacé, Edmond

  • - Ha oui, Kafka. J'ai eu l'occasion de partager quelques fois avec lui. Tu as peut être raison. Il faut être terriblement bureaucratique et / ou démocratiquement frileux pour opposer au froid que subissent les gamins, la longueur de la salle multipliée par l'âge de la directrice pour justifier l'injustifiable, réfléchit à voix haute Jules

  • D'ailleurs, poursuit-il, ce général Hiver est-il vraiment le héros qu'il prétend ?

  • - Il suit le vent, ironise Edmond. Il se trouve du côté de l'Armée rouge en Russie mais il empoisonne la vie des maquis en Corrèze."

  • De toute manière, il faut qu'il pose son campement ailleurs, décident les deux compères.

 

S' en suit un longue discussion digne de physiciens quantiques sur l'espace et le temps, de la stratégie à suivre, de la métaphysique, de l'éthique. Enfin ressort l'idée essentielle pour les communs des mortels que nous sommes «  si nous remontions le temps et soufflions dans l'oreille du Maire quelques réflexions »

 

 

Partie Der

 

 

  • - « La question revient plusieurs fois, explique Mr Abeille, Je le répète, c'est une grande salle avec des grandes baies vitrées. Elle reste difficilement chauffable.

  • - Chauffer un peu plus coûterait plus cher. -souligne-t-il tel monsieur de Lapalice- D'ailleurs, ce n'est l'histoire que de quelques jours ».

  • Ce pauvre Adjoint, s'enfonce lourdement, pense le Premier magistrat.

  • De plus, il multiple la longueur de la salle par l'âge de la maitresse, pour justifier le non chauffage. Il n'est pas bon en mathématique soufflent les deux esprits un brin malicieux aux oreilles du Maire .

  • - Il est vrai répond, la maman ulcérée, qu'il vaut mieux payer le surcoût des médecins alors qu'il suffit de répondre à l'attente légitime des enfants d'être chauffés correctement. il faut trouver une solution immédiate et réfléchir, pour la suite, à l'aménagement de cette salle."

 

 

L'échange se termine. Le silence s'impose. Le Maire pour le dernier conseil de décembre tranche :

Je vous assure madame qu'il sera tenu compte de votre requête.

 

« Top là mec » jubile Edmond. « Tu deviens chébran » rétorque Jules. « Ce sont les enfants et la petite Marianne qui vont être contents. Ce vieux grincheux d'Hiver, ira mener sa campagne de « Russie » ailleurs » célèbrent les deux esprits malicieux mais républicains.

 

Moralité

 

 

Il ne suffit pas de croire pour que le conte existe. L'espérance reste une arme redoutable quand elle s'appuie sur l'action et le désir d'un monde meilleur. Pour réchauffer la petite Marianne et ses petits brigands de citoyens il faudra dorénavant vouer aux esprits éclairés plus de chaleur afin que la lumière règne en lieu et place d'une stratégie d'usure. Preuve en est, depuis des millénaires, le constat reste sans appel comme le souligne avec force l'apôtre : « La lettre tue et l'esprit vivifie ». Encore une petit effort sur soi, la ruche devrait fournir un miel vivifiant à partir d'un Abeille besogneux, mais pas seulement... Villemurois sur Rante s'en trouvera bonifiée et ses enfants vivifiés.

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