On a tous quelque chose en nous de la Grèce…


Par Serge DAVOUST

Que n’a t’on pas dit et écrit sur la Grèce ? Il est vrai que, comme le dit le proverbe, Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage… La Grèce n’est-elle pas à l’image d’autres pays européens ? Et si la Grèce était instrumentalisée et jouait le rôle de laboratoire d’expérimentation européen pour tous ceux qui visent une régression sociale généralisée?

C’est l’hypothèse qu’à développé Gabriel Colletis, professeur de sciences  économiques à l’université de Toulouse, lors d’une conférence du GREP (1). Ce compte-rendu s’en tiendra aux similitudes pointées par le conférencier entre la situation de la Grèce et celle d’autres pays européens et en premier lieu le nôtre.

                                                                « Des crises interne et externe
                                                                qui interagissent entre elles. »

Les spécificités internes économiques et institutionnelles de la Grèce.

- Du point de vue économique, l’intervenant a pointé la faiblesse de l’industrie. Elle ne représente plus que 10% des emplois quand dans les années 90, elle avoisinait les 20%. La Grèce dispose donc d’une faible base industrielle qui s’est sévèrement réduite dans la dernière période. Cette désindustrialisation a aggravé le déficit extérieur qui représente aujourd’hui 10% du PIB.
A titre de comparaison, la France depuis vingt ans s’est aussi très désindustrialisée et a perdu tout projet industriel. De tous les pays les plus développés, c’est le nôtre qui a perdu proportionnellement le plus d’emplois industriels. Son déficit extérieur (2% du PIB français)., conséquence de la désindustrialisation, est certes moindre que celui de la Grèce, mais tout aussi inquiétant pour sa souveraineté
L’autre difficulté que rencontre la Grèce est sa dette. Déjà élevée au début des années 2000 (100% du PIB contre 60% autorisés par le traité de Maastricht), elle a fortement progressé depuis. La Grèce ne se remet pas du coût des Jeux Olympiques de 2004 et de la récession économique en absence de rentrées fiscales. Le déficit public est également aggravé par la récession économique et par le coût des intérêts de plus en plus élevés pour rembourser la dette, cercle pervers que de nombreux pays subissent comme le Portugal, l’Italie…
Deux déficits rendent la situation grecque critique, celui de la balance commerciale et celui des comptes publics de l’Etat en déséquilibre par manque de recettes fiscales. Les armateurs et l’église orthodoxe qui est le plus gros propriétaire immobilier du pays, devraient être les plus importants contributeurs mais ils sont exonérés d’impôts. Les similitudes avec la France : ses recettes fiscales se contractent par le peu ou la non imposition des entreprises du CAC 40, des marchés financiers spéculatifs, par le bouclier fiscal etc).
 Cette situation n’est malheureusement pas exclusive à ce pays.

- Du point de vue des spécificités institutionnelles, Gabriel Colletis a insisté sur la faiblesse de l’Etat et la difficulté à faire prévaloir le bien commun et le bien public. De par son histoire, l’Etat grec, avec un effectif pléthorique dû au clientélisme, n’aura jamais réussi à mettre en place une administration fiscale digne de ce nom. Les services publics sont connus pour leurs graves dysfonctionnements et leurs insuffisances, mais aussi pour leur corruption. Ce qui frappe à l’écoute de l’intervenant, c’est l’extrême faiblesse des institutions grecques.

En conclusion, l’anémie des capacités productives et l’extrême faiblesse des institutions sont les deux traits constitutifs de la crise profonde que traverse la société grecque, auxquels s’ajoutent des vecteurs externes.

Les causes externes sont liées à la crise du capitalisme, importée et instrumentalisée  en Grèce dans l’objectif d’une régression sociale.

Avant de développer cette hypothèse, Gabriel Colletis revient sur les fondements de la crise générale actuelle.
- La crise du capitalisme est celle d’une rupture du pacte social. La mondialisation a mis en concurrence généralisée les travailleurs et la rémunération des détenteurs de capital. Ces derniers recherchent la rentabilité la plus élevée (par exemple 15% en moyenne pour nombre d’entreprises du CAC 40) au détriment à la fois de l’investissement productif et des salaires. Les états restent du côté des intérêts dominants (capital financier, capital industriel) mais le destin de ceux-ci ne coïncide plus avec celui des nations. La conséquence de ce basculement est que les Etats ne sont plus en capacité de promouvoir un projet de développement. Partout se multiplient les niches fiscales, partout le droit du travail est déconstruit, partout l’Etat est appelé à mettre en œuvre davantage de plans d’austérité. Non satisfaits d’avoir provoqué une crise d’une gravité exceptionnelle, ceux qui l’instrumentalisent- les forces financières et politiques- en profitent pour opérer une grave récession sociale et démocratique. La crise grecque est aussi celle de tous les pays européens.


                                                                    " Vers la perte de
                                                                    souveraineté nationale »

La crise du capitalisme importée et instrumentalisée en Grèce est le prétexte à une régression sociale et économique.

Au lendemain des élections remportées par le Pasok (Parti socialiste grec), les grecs apprennent que la situation de leur pays serait nettement plus grave que celle décrite jusque là. Les comptes publics étaient truqués, les déficits abyssaux. Mais il est inexact de dire comme l’on fait beaucoup de médias en France que les institutions européennes et internationales ignoraient les manipulations des comptes publics et des comptes nationaux. Certains ont été les acteurs de cette manipulation, comme le nouveau patron de la Banque centrale Européenne, Mario Draghi. Entre 2002 et 2005, Mario Draghi, au service de la banque Goldman Sachs International, a fait disparaître une partie de la dette grecque par des « astuces » (2)
Les grecs ont triché avec leur compte public. Mais qui ne triche pas ? Certainement pas l’Allemagne. Gabriel Colletis donne l’exemple d’une manipulation : un « fonds spécial » d’un montant de plusieurs milliards d’euros non pris en compte dans les bilans. Si on intégrait ce « fonds spécial », le déficit allemand serait de 6% du PIB au lieu des 3,2 %. Autre exemple, la dette allemande s’est allégée de plus de 55 milliards d’Euros suite à un « impair  comptable». Donc, là aussi, il n’y a pas d’exclusivité grecque.

Les grecs sont sommés de mettre en œuvre des mesures d’austérité drastiques. Les objectifs sont élaborés par la troïka (Union Européenne, BCE, FMI) avec comme grave conséquence une perte de la souveraineté des grecs. Mais sommes-nous différents en France et dans les autres pays européens ? Au nom d’une nécessaire gouvernance européenne, les peuples n’ont aucun droit à la parole. En Grèce comme chez nous, cette politique a pour objectif de faire payer la crise à ceux qui la subissent. Elle ne peut qu’enfoncer le pays dans la dépression rendant impossible l’objectif énoncé de rétablissement des finances publiques. En outre, le service de la dette asservit le pays (3). Comme on le voit, là aussi la Grèce ne fait pas exception, le dogme de politique d’austérité se généralise à tous les pays de l’Europe avec comme conséquence une récession économique provoquant moins de recettes fiscales, ce qui ne peut qu’aggraver les déficits des comptes publics et augmenter les dépenses de l’état (taux d’intérêts plus élevés etc). Ce cercle vicieux se généralise à toute l’Europe. 

Alors comment expliquer que cette impasse fatale pour le peuple grec soit imposée à un pays qui ne représente que seulement 2% du PIB européen et plus généralement pourquoi tous les gouvernements en Europe persistent-ils dans cette voie suicidaire ?
L’intervenant évoque deux raisons :
-    La première idéologique liée au fait que de nombreux  experts économiques ont une approche dogmatique de leur science.
-     La seconde plus perverse : une instrumentalisation délibérément orientée contre les peuples et visant à justifier la régression économique et sociale permettant la remise en cause générale des droits sociaux (baisse des salaires, recul de l’âge de la retraite,  décodification du droit du travail, privatisations, saut vers une Europe fédérale).

D’après Gabriel Colletis, la Grèce n’aura pas d’autre issue que de sortir de la zone Euro et de se déclarer en défaut de paiement. Du point de vue de sa souveraineté, il vaudrait mieux que le gouvernement grec le décide avant que la troika ne l’impose. La Grèce paiera cash sa désindustrialisation. Le niveau de consommation sera en adéquation avec son niveau de production, interdisant pour la très grande majorité des grecs l’achat de produits d’importation trop onéreux. Cela sera un désastre pour le peuple grec et une remontée de la pente d’une durée qu’il évalue à 30 ans.

                                                             « Quels enseignements
                                                              pour la France ? »

Gabriel Colletis évoque les similitudes entre le plan de rigueur sur de 1983 sous la présidence de Mitterrand avec la période actuelle. Dans les deux situations, au nom de la « contrainte extérieure », on fait avaler au peuple la potion amère de l’austérité.
En 1983, on nous disait que la « la France devait respecter ses engagements internationaux »liés au SME (4) et on justifiait ainsi l’austérité salariale…qui continue.
Aujourd’hui, la dette et les déficits, l’appartenance à la zone Euro, sont les arguments avancés pour justifier une aggravation de l’austérité. Ces nouvelles formulations de la « contrainte extérieure » ont comme objectif de poser un verrou sur les aspirations à une vie meilleure.
Le combat pour la démocratie est partout la première exigence.


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1)    Cette conférence s’est déroulée le 10 décembre 2011. Elle fait partie d’un cycle de conférence qui a pour thème le Monde change : comprendre pour agir. Pour en savoir plus sur les conférences programmées en 2012, vous pouvez aller sur le site Internet  du GREP –Toulouse.
2)    Pour plus d’éléments voir le livre qui a pour titre : « la banque : comment Goldman Sachs dirige le monde »écrit par Marc Roche, journaliste au Monde  Vous pouvez vous le procurer à la médiathèque de Villemur sur tarn.
3)    Le taux d’intérêt des emprunts de l’Etat grec pour une durée de 10 ans atteint plus de 16% contre moins de 2% pour les emprunts de l’Etat allemand.
4)    Système Monétaire Européen mise en place en 1979.

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